<p>"J'ai entrepris d'écrire et de réinventer l'histoire de mon grand-père Yehouda Ben Porat, mort en 2009 à Jérusalem. Parti de Lituanie en 1934 pour aller vivre en Palestine, Yehouda a traversé les étapes de la construction de l'État d'Israël, de l'idéal du Kibboutz en passant par la tragédie de la Nakba, a parcouru l'Europe d'après la Shoah en tant que soldat dans la Brigade juive de l'armée anglaise puis dirigé et fondé l'Institut de recherche sur l'histoire d'Israël, Yad Ben Tsvi, à partir de 1971. Alors qu'il reçoit le prix du président de l'État d'Israël pour son travail comme directeur de l'Institut, les idéeaux qu'il aura poursuivis toute sa vie se sont déjà fissurés. Son rêve presque détruit. Il est mort à l'été 2009, au moment où je me séparais d'une femme et fuyais pour le Japon. C'est là, dans les inconnus de Tokyo, que je vais le recroiser et débuter la reconquête de mon histoire familiale. Nous sommes deux, Yehouda et David, à nous raconter. Un homme dont l'idéal, la création de l'État d'Israël, est devenu un cauchemar, et un jeune homme qui hérite d'une histoire impossible à porter sans la ranimer, la mettre en doute, la faire sienne. Quelles vies les fardeau de l'Histoire passée nous permettent de choisir ? Jusqu'où la poursuite d'un idéal peut justifier nos actes ?" David Geselson</p>
Yehouda
Je m’appelle Yehouda. J’ai 92 ans maintenant, quand même. Bon. (...)
J’ai fait ce rêve là, où je suis au Kibboutz, tout seul, le matin très tôt, la lumière pas encore levé presque et je porte le sac, le petit sac en plastique rose - comme un sac qui sortait de l’usine de plas- tique du Kibboutz - et je vais vers le cimetière avec mon sac et je suis en retard.
Et en plus mes jambes sont ralenties par des pierres sur le chemin à coté de la bananeraie. Et c’est de plus en plus difficile d’avancer et puis les pierres deviennent de la boue et je m’englue dans une espèce de magma gros avec les pierres et la boue du chemin.
Je suis englué dans le chemin pour le cimetière, et je ne peux plus avancer.
Je ne peux plus du tout avancer. Je peux pas aller à mon enterrement.
C’est mon enterrement, et je suis en retard.
Et voilà, je suis devant ma tombe, et c’est trop tard, ils m’ont enterré sans m’attendre.
Et je comprends que du coup, personne n’a dit le Kaddish. Personne ne m’a dit le Kaddish. Pourquoi ?
(...)
Les gens fabriquent des histoires, c’est n’importe quoi. N’importe quoi. Les gens ils inventent des légendes parce que quoi bon, les gens sont pas très intelligents. Ils se font mousser avec les histoires des autres on connaît (...).
Les histoires (...) regarde (...) des mots des mots des mots. Qu’est-ce que tu veux que je te dise...? Vous m’enterrez dans les règles.