Une partition gestuelle
D’un côté le corps du danseur. De l’autre, un grand corps de papier froissé, chiffonné, torsadé ou noué, taille humaine, souple sur ses jambes, curieux comme un humain, expressif comme une marionnette. Il est manipulé à vue par quatre comédiens, quatre corps qui dessinent autour de lui des ombres.
Face-à-face sur un plateau : danseur et marionnette se regardent, s’observent, s’approchent. Dès lors ils deviennent deux danseurs, deux corps qui vont dialoguer par le mouvement. Commence alors un pas de deux ludique où les deux personnages se rencontrent et se cherchent des plis : l’apesanteur, le poids, les possibilités physiques, le mouvement dans l’espace…
En quelque sorte, il s’agit de vérifier par le concret les raisonnements que Kleist, déjà, mettait en jeu dans ses écrits Sur le théâtre de marionnettes. Le face-à-face avec le danseur n’était alors que verbal et théorique : un danseur, fasciné par le spectacle de marionnettes manipulées « pour divertir la populace », y prétend qu’elles ont davantage de grâce que tout danseur vivant, pour la raison qu’elles n’ont pas de conscience, donc pas d’affectation. Il s’agit pour Kleist de développer, de façon imagée et vivante, des idées d’inspiration rousseauiste sur l’innocence perdue de l’humanité. Mais ce faisant il met en jeu des concepts sur la mécanique du mouvement et des interrogations qui nous touchent, proches de nos propres recherches.
Après avoir invité des auteurs à travailler sur le langage de la marionnette, l’idée d’inviter un chorégraphe permet d’ouvrir encore plus le travail de la compagnie et de mettre l’accent sur une spécificité de ce moyen d’expression. Si la marionnette ou l’objet manipulés semblent effectivement prendre vie, donner corps à nos fantaisies, c’est que chaque mouvement, chaque regard, chaque attitude doit être juste, prendre place dans un rythme précis, écrit comme une partition gestuelle qui n’est pas éloignée du travail chorégraphique.
Johanny Bert