Au fond c’est une banale histoire entre un homme et une femme. Murés. Dans l’appartement qu’ils avaient pourtant choisi pour être au monde ; à deux. Et puis le temps. Maintenant, il faudrait sortir d’ici. Plus de force ?! Ou bien c’est qu’ils s’aiment. Je ne sais plus. Ils frappent et se débattent. Pour créer du mouvement. Pour se sentir vivants. C’est d’un ordinaire. Si, si je vous assure. C’est vraiment dégueulasse.
Un appartement avec dedans, un couple qui se débat pour se sentir vivant. Une histoire banale. Pour tromper l’ennui, ils invitent un autre couple, des voisins. Mais c’est tout l’immeuble qui vient. C’est-à-dire nous, assis là, témoin de cette violence, si maligne qu’elle ne s’immisce que dans l’intime. Les Démons, que Lars Norén dépeint en 1984, portent ici les prénoms de leurs interprètes, Lucrèce et Antonin. Le voici de retour chez eux avec une urne funéraire : sa mère adorée, dont les cendres vont se répandre sur leur amour consumé. Les malins s’écorchent bien : chacun déverse son fiel, fait le show, chante faux et sourit forcé aux convives, engagés fatalement dans le conflit affectif. L’audacieuse Lorraine de Sagazan se glisse sous les mots crissants de cet héritier d’Ibsen et entaille précisément là où jaillissent nos monstruosités ordinaires, une fois ôté le masque de la bienséance sociale. Elle réécrit, flanque d’improvisations le texte acéré et convie le spectateur en son coeur, en face à face. Au centre, sur le fil de l’instant et de l’interaction, les deux acteurs exultent, et nous avec. Car c’est atroce mais jouissif. La première signature de La Brèche perce avec délectation un théâtre de la déflagration, à fleur d’émotion et de sensation. Rien n’est interdit à la représentation, pourvu qu’elle produise du vivant.
Mélanie Jouen pour le programme du festival Théâtre en Mai 2016/Théâtre Dijon-Bourgogne-CDN
« JE VEUX QUE LE PUBLIC SOIT SÉDUIT PAR SON ESPRIT CRITIQUE, QUE LA PIÈCE AIT UN EFFET SUR LUI. VOUS POUVEZ AVOIR UNE ÉMOTION ET L’INSTANT D’APRÈS C’EST FINI, VOUS POUVEZ DE NOUVEAU ÊTRE LE MÊME. MAIS SI LE CERVEAU, L’ESPRIT CRITIQUE EST TOUCHÉ, ALORS L’ÉMOTION PERSISTE ET VOUS POUVEZ ÊTRE INFLUENCÉ. »
Lars Norén, Les Pouvoirs du Théâtre