Love and Money est l’histoire d’un amour, celui de Jess et David, commencé comme un coup de foudre, un Big Bang, et que l’argent-roi va disloquer. L’amour, le sens de l’existence se dissolvent dans une société où tout pousse à la consommation compulsive de biens matériels. Pris en étau entre leurs pulsions et les pressions de la société, les personnages se laissent entraîner dans une spirale qui les mène à des actions monstrueuses. La pièce, écrite au vitriol, participe du mouvement in-yer-face ("coup de poing" ou "en pleine gueule"), porté par de jeunes auteurs comme Sarah Kane et dont l’apogée se situe dans l’Angleterre des années 1990. Dennis Kelly a construit sa pièce en puzzle. Jouant avec les codes de la narration, il raconte cette histoire à rebours. Au début, David confesse les conditions terribles de la mort de Jess. À la fin, Jess nous dit son amour de la vie, sa quête de sens et sa rencontre avec David. Au cœur du texte, une scène pivot où les personnages anonymes parlent d'un monde "en phase de cynisme terminal" et décrivent de manière limpide le processus qui mènera à la crise des subprimes de 2007
Scène sept
Jess : Je ne pense pas que nous ayons envie d’être seuls, si ? C’est ça qu’on veut ? Est-ce bien ça qu’on veut ? Et parfois on se dit que la seule raison pour laquelle on fait ce qu’on fait, c’est pour tendre la main et pour toucher
juste toucher, juste pour
sentir
quelque chose
dans notre main, ou plutôt dans notre coeur, j’imagine et, que notre âme tende vers quelque chose et comprenne que tout ça n’est pas que de la poussière et des cailloux, des explosions nucléaires au coeur des étoiles et puis, comme par accident, un peu de matière organique qui se baladerait sur une toute petite planète minuscule. Vous voyez ce que je veux dire ?
Faire ce lien-là ?
Juste faire le lien.
Et on regarde autour de soi, non, et on pense « alors c’est ça ? Tout le monde a l’air de penser que c’est ça, bon ben je vais faire ça alors, je vais avoir un travail et une maison et les chaussures qu’il faut et je vais, vous savez, parce qu’il se peut que ce soit ça » et je ne dis pas que ce n’est pas ça et c’est très bien toutes ces choses et je déteste quand les gens sont juste à critiquer et tout parce qu’on porte tous des chaussures
bon Dieu, alors, vous voyez, mais
parfois, je me pose
des questions
et je me demande si les autres sont aussi
perdus
et se posent aussi des questions et peut-être que la planète est remplie de gens qui se posent des questions mais on fait mine de savoir exactement ce qu’on fait d’être parfaitement adaptés et de ne pas avoir peur ou de se
sentir perdus ou
seuls
ou quoi que ce soit de ce genre…