Extrait de l'entretien avec Yveline Rapeau, directrice du festival SPRING
L’ossature de SPRING s’est assise au fil des éditions. Quelles seront les nouveautés insérées dans ces rendez-vous désormais attendus ?
À la différence de nombreux autres festivals dédiés au cirque, c’est en effet son éditorialisation qui fait la spécificité de SPRING, autour de lignes de force telles que Portraits d’artistes, cette année consacrée à la compagnie Baro d’evel – par ailleurs lauréate du Prix Cirque SACD en juin dernier. Dédié au répertoire d’un artiste ou d’une compagnie, ce rendez-vous annuel rend compte de la notion de répertoire de cirque, qui a rapidement épaulé celle de cirque d’auteur. Or, ce répertoire en train de s’écrire se nourrit tantôt d’individualités, tantôt de différentes complicités ; c’est pourquoi j’initie des « Portraits croisés » cette année, dédiés à la rencontre inédite entre ces deux artistes magnifiques que sont Justine Berthillot et Juan Ignacio Tula. Nous accueillons leurs projets respectifs - Carrosse, de Justine en complicité avec Pauline Peyrade, qui fait partie des naufragés de SPRING 2020 ; et Instante, solo de Juan appelé à devenir un petit bijou du répertoire du cirque contemporain - mais aussi la nouvelle création qui consacre leur rencontre : Tiempo.
« Cirque et patrimoine » constitue un autre temps fort attendu du festival. Quelles évolutions pour cette édition ?
Après de grands monuments nationaux les années passées (Abbaye du Mont-Saint-Michel, Château de Carrouges...), nous avons décidé cette année d’investir un patrimoine moins connu, mais tout aussi précieux. Dans la Chapelle Corneille à Rouen, superbe lieu désacralisé en cœur de ville, nous présentons en coopération avec l’Opéra de Rouen-Normandie Le Lac des cygnes de L’Eolienne avec l’Orchestre de Normandie en live. Nouant un lien organique avec la Baie du Mont-Saint-Michel, nous présentons au Jardin du Prieuré de Genêts, dans le sud de La Manche, Une pelle d’Olivier Debelhoir en partenariat avec la Communauté d’Agglomération Mont-Saint-Michel Normandie. Dans l’ancien hôpital maritime de Cherbourg, un somptueux édifice datant de la fin du XIXe siècle, nous avons confié une carte blanche à Baro d’evel. La compagnie pourra occuper les coursives, le cloître et les jardins intérieurs de cet extraordinaire site patrimonial ! Ces diverses expériences entérinent un constat : les nouvelles formes circassiennes ne sont assignées ni au chapiteau, ni à la salle, mais peuvent se produire dans des espaces non conventionnels. Le cirque a gagné ses lettres de noblesse, et peut sans rougir être accolé à des monuments et des lieux patrimoniaux prestigieux.
Cette 12e édition s’enorgueillit également de thématiques multiples. Lesquelles ?
Il s’agit de dégager des préoccupations dans l’air du temps, car le cirque contemporain se mêle du monde qu’il habite, se colle aux questions de société, nourrit son propos de grands enjeux sociétaux et anthropologiques. Le parcours « Mauvais genre » témoigne de la question du genre qui traverse de nombreuses créations, et s’y décline de manières différentes – ainsi Radius et Cubitus, une opérette en latin totalement déjantée, née de l’esprit fertile de l’auteur Jean-Charles Gaume, qui a imaginé une histoire à partir de corps retrouvés à Pompéi ! Au moment où l’on annonce l’interdiction des animaux sauvages dans le cirque, « La Ménagerie contemporaine » constitue quant à elle un clin d’œil espiègle, car il s’agit ici d’animaux peu conventionnels : chat, chien, escargots… Mais aussi cheval, qui reste un pilier du cirque. Présent dès les débuts de la discipline, il est intéressant de voir comment il est devenu au fil du temps un compagnon de jeu à part entière, intégrant une réelle partition de comédien. Enfin, je revendique la pirouette liée à la thématique « Et pourtant elle tourne » ! Malgré toutes les anxieuses interrogations que nous pouvons nourrir en ce moment sur l’avenir, la terre continue de tourner ! Or plusieurs créations incluent un mouvement perpétuel, autour d’accessoires ou d’agrès circulaire (cerceau, roue Cyr) : Derviche, Instante, Ellipse, Cirkantranse, Trait[s]…
Un mot sur la 2e édition du volet Cirque des 5 continents ? Après l’Australie l’an dernier, place cette année à l’Afrique.
Cette escale africaine aurait dû initialement trouver sa place à l’automne, simultanément à l’ouverture de la saison Africa 2020 portée par l’Institut Français. Heureusement nous avons pu rebondir, et reconstituer cette escale avec ses deux volets. Le premier dédié au Maghreb, en accueillant FIQ !, créé dans SPRING 2020, mais qui a vu sa tournée amputée. Et le deuxième autour de l’Afrique subsaharienne, intégrant la création du Cabaret panafricain 100% féminin ainsi qu’un temps fort festif incluant repas, défilés de mode, arts plastiques, films, débat autour du rôle des femmes dans l’émancipation politique de l’Afrique (intégré dans le dispositif Conversations de la saison Africa 2020)... Cirque des 5 continents est l’occasion de donner une visibilité au cirque actuel tel qu’il se manifeste aux quatre coins du monde, mais également de développer des coopérations : c’est cette année le cas avec Cross, une coopération franco-éthiopienne montée en complicité avec Le Plus Petit Cirque du Monde, basé à Bagneux.
Quelques pépites audacieuses à signaler en vrac, parmi les créations ?
On connait Emma la clown pour ses duos, notamment avec Catherine Dolto. Je lui ai lancé un défi : une rencontre totalement inédite avec le musicien Thomas de Pourquery, qui aura lieu au Théâtre Municipal de Coutances ! Ce partenaire est aussi le haut lieu du jazz en France, avec le festival Jazz sous les pommiers. Quelques autres créations très prometteuses : Cry me a river, de Sanja Kosonen, autour d’une thématique incroyable inspirée par les pleureuses de Carélie. Et Périple 21, un tour de France jonglé par le Collectif Protocole, dont le grand départ s’effectuera pendant SPRING. À l’issue de ses escales à Cherbourg, Caen et Rouen, la compagnie rayonnera ensuite dans le pays. SPRING est l’occasion de montrer l’éventail de tous ces possibles !